Aujourd’hui nous allons vous parler de football à Prague. C’est connu, la capitale tchèque respire le football avec ses nombreux clubs dans l’élite. Une fois n’est pas coutume, nous allons évoquer aujourd’hui le Dukla Praha, le club le plus impopulaire du pays, bien loin de ses adorés voisins pragois du Sparta et du Slavia.

Un club né dans le sang

Contrairement à beaucoup d’équipes du pays, le Dukla Praha est un club jeune fondé en 1944 lors de la Seconde Guerre mondiale. Pour comprendre les origines de ce club tchèque, il faut se plonger dans les livres d’Histoire et évoquer une période souvent oubliée par ces derniers, à savoir le Soulèvement national slovaque, ou Slovenské národné povstanie en VO.

Un groupe d'officiers de la brigade tchécoslovaque. Au premier plan, de gauche à droite : Capitaine Srp, Capitaine Marcely, Capitaine Rajter, Major Ďumbala.
Un groupe d’officiers de la brigade tchécoslovaque. Au premier plan, de gauche à droite : Capitaine Srp, Capitaine Marcely, Capitaine Rajter, Major Ďumbala |© historyweb.dennikn.sk

Le 29 aout 1944, dans la ville de Banská Bystrica en Slovaquie, de nombreux groupes de résistants slovaques se soulèvent afin de combattre le nazisme. C’est ainsi que cette ville de Slovaquie centrale devient l’un des principaux centres de la résistance du pays.

Dans le même temps, l’Armée Rouge prépare une tentative de soutien à cette nouvelle brigade antifasciste. C’est ainsi qu’environ 15 000 soldats soviétiques s’engagent dans le col de Dukla, alors occupé par l’armée allemande à la frontière slovaco-polonaise afin de pénétrer en Slovaquie. L’opération Dukla-Prešov est née. Une opération parmi les plus sanglante du front de l’Est, coûtant la vie à plus de 20 000 soldats soviétiques et près de 2 000 Tchèques, dont l’Armée Rouge sort vainqueur. De cet événement historique et sanglant, un club pragois tirera son nom: le Dukla Prague.

Au Dukla tu seras. Notre tenue tu porteras.

Pour faciliter le développement rapide de l’équipe à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée tchécoslovaque décide que chaque joueur professionnel doit obligatoirement revêtir le maillot du Dukla lors de son service militaire – pour être précis, le club porte dans un premier temps le nom de ATK Praha (pour Armádní Tělocvičný Klub Praha soit en français Club d’entraînement physique de l’armée). Un traitement de faveur qui en appelle d’autres, comme l’explique Radovan Jelinek, auteur et historien du football tchécoslovaque:

« Les meilleurs joueurs devaient aller jouer au Dukla, quand bien même ils étaient déjà liés à un club. Normalement, chaque équipe devait se qualifier pour jouer en première division; ce ne fut pas le cas du Dukla Praha. Une nouvelle règle fut mise en place, la « Ad Duklam », qui obligeait les clubs à donner au moins un de leurs joueurs au club de l’armée. Ce fut le début de l’histoire du Dukla. »

Une situation bien entendu inacceptable aujourd’hui mais qui, visiblement, ne pose alors pas de problème au Dukla. On pouvait y retrouver à l’époque tous les meilleurs joueurs d’autres clubs, notamment sept joueurs venant du Slavia ou encore cinq des Bohemians. Cependant pour Günter Bittengel, ancien joueur du club dans les années 80, la situation servait essentiellement le football et le sport tchécoslovaque comme il explique dans une interview pour Radio Praha:

« C’est l’époque qui voulait ça. Le service militaire était obligatoire, et un tas de gens ne comprennent pas que pour un jeune sportif prometteur, il valait mieux aller au Dukla que de finir dans un char, un hélicoptère ou à surveiller les frontières avec un chien et un fusil. Pendant les deux années de leur service passées au Dukla, ces jeunes sportifs avaient la possibilité de progresser avec des entraîneurs de qualité. Cela aurait été aussi dommage pour le sport tchécoslovaque dans son ensemble de ne pas développer le talent de ces jeunes. Et puis beaucoup d’entre-eux retournaient ensuite dans leurs clubs d’origine. Le Dukla a donc formé un nombre incalculable de bons joueurs et de sportifs pour tout le pays, mais ça, les gens ne s’en rendent pas compte. »

Grâce à ce traitement de faveur, le club gravit les échelons de manière peu orthodoxe et domine logiquement le football national – en concurrence avec les Slovaques du Spartak Trnava et surtout du Slovan Bratislava – des années 50 jusqu’au début des années 90 avec pas moins de 11 championnats et 8 coupes à son palmarès. Cette domination, on la retrouve également en Europe. Bien qu’il n’ait remporté aucun trophée européen, le club a enchaîné les bons résultats avec une multitude de phases finales dans les compétitions européennes. Ainsi, lors de la saison 1966-1967, le club pragois est défait par le Celtic Glasgow, futur vainqueur de la compétition, en demi-finales de la Coupe d’Europe des clubs champions. Malheureusement pour le palmarès, le club n’arrivera jamais passer le stade des demi-finales, perdant une nouvelle fois à ce stade en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes face au Dynamo Kiev en 1989 ou encore face au Hertha Berlin en quart de finale de la Coupe UEFA lors de la saison 78-79.

DUKLA PRAHA CELTIC 2
Celtic Glagow – Dukla Praha | © duklalegend


Pourtant, le club possédait bon nombre d’éléments capables de renverser un match par leur talent, des joueurs de haut niveau symbolisés par un nom, Josef Masopust. Parmi les dizaines de légendes que le club a pu connaitre, Masopust reste le nom qui marquera une génération, un nom qui fit la renommée et la gloire du club de l’armée.

De Masopust à Nedved. De la gloire à la déchéance.

Plus de quarante ans d’histoire séparent Josef de Pavel. Quarante années qui ont forgé la légende du club jusqu’à sa chute. Pourtant, malgré les décennies qui les séparent, ces deux joueurs ont bien des choses en commun. Que ce soit d’avoir porté la tunique rouge et jaune du Dukla mais aussi, et surtout, d’avoir remporté le Ballon d’Or. Les deux seuls de l’histoire attribués à des joueurs tchèques.

Né en 1931 à Střimice, Masopust se fait connaitre sous le maillot du Dukla comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire de la Tchécoslovaquie. Pris de force au ZSJ Technomat Teplice – actuel FK Teplice – grâce aux règles citées précédemment, il devient l’un des éléments majeurs de l’effectif doré du club. Comme un symbole, il devient en 1962, année où la Tchécoslovaquie s’incline en finale de la Coupe du Monde au Chili face au Brésil de Pelé, le premier joueur tchèque et est-européen à recevoir le Ballon d’Or.

Meneur de jeu hors-pair et formidable technicien, Masopust en fait rêver plus d’un. À l’image de son adversaire en finale de Coupe du Monde, le roi Pelé.

« Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas un Européen, ce n’est pas un Tchèque. C’est un Brésilien ! Pourquoi il n’est pas des nôtres comme Didi, comme Garrincha ? Masopust est un meneur de jeu dont la technique peut donner l’impression qu’il est né au Brésil, pas en Europe. Un type de joueur à la Platini, Beckenbauer. Surtout un homme d’une grande intelligence en dehors du terrain. »

Élu meilleur joueur tchèque du XXe siècle en 2000, Josef Masopust aura su marquer la mémoire de bons nombres d’amateurs de football, qu’ils soient Tchèques ou Brésiliens… ou même Portugais. Car, oui, même le grand Eusebio tombe sous le charme du génie tchécoslovaque. Ainsi lors de son 80e anniversaire, Eusebio n’hésita pas à encenser une nouvelle fois la légende tchèque.

« C’est pour moi un grand plaisir d’être présent. Lorsque j’ai appris que Josef allait fêter ses 80 ans, j’ai décidé de venir en personne. Je suis un peu plus jeune que lui, mais je considère que Masopust était un bien meilleur footballeur que moi. Lui, son rôle sur le terrain était plus compliqué que le mien. Il devait créer, organiser le jeu, alors que moi je me contentais de finir les actions et de marquer des buts. J’ai beaucoup d’admiration pour lui, c’est pour cette raison que je suis vraiment très heureux d’être ici et que je souhaite à mon ami de vivre encore de nombreuses années. »

Pavel Nedved - Dukla Praha
Pavel Nedved – Dukla Praha | © fotbal.idnes.cz

Bien des années plus tard, bien loin des saisons légendaires du club, éclot un autre phénomène du football tchèque: Pavel Nedved. Malheureusement, les grandes heures sont passées et la révolution de velours fait son entrée. Privé des avantages habituels sous la période communiste, le Dukla ne peut le conserver: Nedved ne portera le maillot du club que deux petites années. Même si ces années sont difficiles, il y fera une rencontre déterminante pour sa carrière, avec l’un de ses mentors, Zdenek Nehoda. Une autre légende du club qui quittera par la suite son poste d’entraîneur pour rejoindre le Sparta Praha en prenant le soin d’emmener dans ses bagages le jeune Pavel. Avec ce transfert, Nedved grandit, mûrit et devient le joueur que l’on connaît. Juillet 1996, direction l’Italie, où la Lazio l’accueille à bras ouverts. Six ans plus tard et 41 millions d’euros en plus dans la trésorerie du club romain, il rejoint la Vieille Dame pour le parcours que vous connaissez tous.

Bonjour Révolution.

Hiver 1989. Le régime communiste tombe. La Révolution de velours fait son entrée, le club la subit de plein fouet. Son image de club de l’armée passe mal, très mal, auprès des Pragois et des Tchèques en général. Ainsi, en 1994, le club voit rouge. Financièrement aux abois, aucune société ne souhaitant sponsoriser un club ayant une image néfaste dans le pays, le club est relégué administrativement en troisième division, délaissant alors par la force des choses le monde du football professionnel. La « routourne » a tourné, comme dirait le poète.

Deux ans plus tard et après un déménagement à Přibram, petite ville sympathique à une cinquantaine de kilomètre de la capitale, le club est racheté par l’entrepreneur slovaque Bohumil Ďuričko, qui décide de l’associer avec le club de la ville, le FK Příbram, alors en deuxième division et qui connait lui aussi de grandes difficultés financières. Ainsi est né le FK Dukla Příbram. Un enfant qui mourra néanmoins rapidement malgré quelques bons résultats sportifs, une remontée dans l’élite et une finale de coupe nationale en 1997. En effet, le club ne retrouvera jamais sa ville de Prague et son Na Julisce Stadium qui appartient toujours à l’armée tchèque et qui était encore utilisé par l’équipe amateur du Dukla Dejvice . En 2000, le Dukla Praha n’existe plus.

Pourtant, aujourd’hui le club joue bel et bien en Synot Liga, équivalent de notre belle Ligue 1. En République Tchèque, on n’oublie pas les clubs légendaires quand bien même sont-ils détestés. En 2005, c’est le petit club du Dukla Dejvice évoluant en quatrième division, qui change de nom pour redonner vie au légendaire Dukla Praha, sans avoir de réel lien de filiation avec le club originel. Après deux promotions consécutives, le club retrouve la scène professionnelle du football tchèque; puis, après cinq années passées en seconde division, le Dukla Praha retrouve, en 2011, la première division tchèque.

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L’histoire entre le Dukla Praha et le football tchèque ne s’est donc jamais vraiment arrêtée. Malgré les difficultés, le désamour, le Dukla et son maillot légendaire continuent aujourd’hui d’arpenter les terrains de première division tchèque et de recevoir dans le Na Julisce Stadium. Un club qui malgré la haine a su, malgré lui, recevoir l’amour des… hipsters. Car, oui, le maillot du Dukla est légendaire.

Pierre Vuillemot


Photo à la une : © Onze n°21

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