Ce dimanche 4 octobre, le Spartak Moscou, ainsi que tous les amoureux du football soviétique et russe, se sont rassemblés pour honorer la mémoire de Fyodor Cherenkov, mort le 4 octobre 2014 à l’âge de 55 ans. Déjà un an que la légende du Spartak nous a quitté …

De nombreux supporters se sont recueillis sur sa tombe dans le cimetière de Troïekourovskoïe et en particulier des vétérans du Spartak tels que Iartsev, Rodionov, Shavlo, Kokoriev, Samokhin, Gradilenko … et des joueurs de l’Académie qui porte son nom. A la fin du match à Armavir, où le Spartak 2 affrontait le Torpedo, les footballeurs ont offert aux fans un maillot à l’effigie de Cherenkov avec lequel ils sont entrés au début du match. Toute la famille Spartak s’est recueillie devant ce joueur emblématique du club.

Une jeunesse pleine de football

Né le 25 juillet 1959 à Moscou, le jeune Fyodor ne pense qu’à jouer au foot dès son enfance. Un football qui coule dans ses veines et dans ses déclarations, ainsi, il raconta dans une interview ses souvenirs d’enfance, qu’il  jouait «au football constamment. Dès que je finissais les cours, nous sortions dans la cour de l’école et nous jouions au foot jusqu’à ce qu’il fasse sombre. Mon père m’a amené à Luzhniki voir le match Spartak – Dynamo Kiev et depuis, je suis resté un Spartakovets». Si, en 1973, il tourne dans le film « aucun mot sur le football », comme vous le voir dans la vidéo ci-dessous, il commença à tâter le ballon avec l’équipe de l’arrondissement de Moscou où il vivait. Une équipe avec laquelle il participa au tournoi «ballon en cuir», ou кожаный мяч en VO, un tournoi ayant pour but de regrouper les équipes de jeunes du pays.

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Dans ce tournoi, Cherenkov se fait remarquer par les sélectionneurs sportifs du club Kuntsevo, un district de Moscou. Il y passe alors deux ans au côté de l’entraineur Mikhail Mukhortov, un homme qui aura de l’importance puisqu’il l’enverra par la suite à l’école spécialisée pour jeunes de la réserve olympique du Spartak (СДЮШОР). Une école où il y restera jusqu’à ses 16 ans.

Puis, Nikolaï Starostin lui proposa de continuer son aventure dans le club moscovite en y intégrant la réserve en 1977. Un an et demi plus tard, il fut propulsé en équipe première du Spartak, alors entrainé par Konstantin Ivanovich Beskov, ancien joueur charismatique du Dinamo Moscou notamment.

« Je me souviens mal de ma première rencontre avec Beskov. Nous sommes arrivés à l’entrainement où nous étions 40-50 personnes. L’entrainement s’est bien passé pour moi. Cela m’étonne encore… L’entraineur a pensé que je pouvais jouer avec l’équipe première. Et dès que j’ai commencé à jouer, il m’a demandé plus que les autres. »

Dès ses premiers matchs, Cherenkov montre une grande aisance technique et une excellente lecture du jeu. Il devient alors rapidement l’un des principaux acteurs du Spartak Moscou et, après le départ de Yuri Gavrilov, le principal meneur de jeu du club. De matchs en matchs, Fyodor illumine Luzhniki de sa jeunesse. Si sa carrière d’acteur commença avec « Aucun mot pour le football », celle de joueur, elle, en a le droit à une avalanche. De mots. La plupart émerveillé devant ce jeune talent.

« J’ai eu l’honneur d’être présent ce 11 juin 1978 au stade Lokomotiv quand, à la 76ème minute du match contre Ararat, Fyodor, qui n’avait que 19 ans, prit la place de Evgeni Sidorov. Les spectateurs dans les tribunes rigolaient au début pensant « mais c’est qui ce gamin? » Mais le Spartak gagna 3-0 et Fyodor montra rapidement sa lecture de jeu, son intelligence dans le jeu de passe, s’intégrant très bien dans les combinaisons de l’équipe. » Déclarait Alexander Prosvetov.

Ses feintes, ses passes lumineuses et son jeu d’attaque font de lui un joueur majeur de l’effectif du Spartak Moscou. Rapidement, la reconnaissance monte et l’amour des fans du Spartak envers sa personne également. C’est d’ailleurs de par sa position que Cherenkov est devenu le dépositaire du jeu du Spartak et, de là, sans oublier les grands joueurs avec lesquels il évoluait, un des emblèmes du club au même titre qu’un Yachine au Dinamo Moscou ou Streltsov au Torpedo Moscou.

fyodor

Fyodor devient ainsi cadre, son génie, son inventivité, ses feintes, font de lui un joueur imprévisible, un vrai numéro 10 à l’ancienne se reposant sur son instinct. Sergueï Rodionov rapporte ainsi un dialogue récurrent qu’il avait avec lui en début de match, un dialogue symbole d’un joueur ingénieux qui connaîtra une carrière mouvementée. Extrait.

Serge, je suis sans doute un mauvais footballeur.

Si toi tu es mauvais, alors nous sommes quoi ?

Konstantin Beskov dit qu’un joueur, lorsqu’il reçoit la balle, doit avoir 2-3 solutions.

Et alors ?

Moi, je n’en ai aucune. Je ne sais pas quoi faire quand j’ai le ballon. Je suis donc un mauvais footballeur.

Ce n’est pas ce que ça veut dire. Tu fais sur le terrain tout de manière intuitive, à l’instinct.

Symbole des réponses de Rodionov, Cherenkov joue pas moins de 416 matchs avec le Spartak en 1977 et 1993 pour 96 buts marqués. Il faut croire que, contrairement à ce que Fyodor pensait, son talent était important pour le club moscovite. Un talent qui permit au Spartak de remporter le championnat d’URSS en 79, 87 et 89 ainsi que de multiples secondes places comme en 80,81,83,84,85 ou encore 1991. Oui, ça fait beaucoup.

Il remportera également une coupe d’URSS en 1987 et, par la suite, le championnat de Russie en 1993 ainsi que la coupe, un an plus tard. Cherenkov se fait un palmarès, un nom, et devient l’un des meilleurs joueurs de sa génération, en témoigne ses trophées individuels de meilleur joueur d’URSS en 1983 et 1989. Même Konstantin Beskov devait en être fan, qu’importe si Fyodor avait 3 solutions quand il recevait le ballon ou aucune. Le génie parlait. Un génie qui fit également ravage en Europe lors d’un 1/16 de finale de coupe de l’UEFA où Cherenkov marqua un doublé qui restera évidemment dans toutes les mémoires des supporters du Spartak.

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Ou encore ce magnifique but face à Nantes à la Baujoire en Coupe UEFA lors de la saison 85/86.

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Malheureusement, un épisode bouscula la carrière de ce numéro 10 si talentueux. La maladie.

Une maladie difficile à porter

Talentueux, aimé de tous les supporters, même par certains ennemis moscovites comme le CSKA ou le Dinamo, Cherenkov a cependant des problèmes mentaux graves qui l’obligent à s’écarter des terrains pour être hospitalisé.

tcherenkov_12Lors de la saison 83/84, le Spartak affronte Anderlecht à Tbilissi en quart de finale de la Coupe UEFA. L’équipe est déjà prête à rentrer sur le terrain. Et tout à coup, Cherenkov commence à délirer. Les joueurs pensent d’abord à une blague mais s’aperçoivent rapidement en le voyant qu’il se sent mal. Beskov effectua rapidement un changement et Cherenkov fut envoyé à l’hôpital où l’on diagnostiqua une maladie mentale. Malgré ça, il continuera à s’accrocher à cette carrière de footballeur dont il avait rêvé plus jeune dans la cour de son école. Mais cette maladie aura bien évidemment des répercussions sur cette carrière.

Si l’on regarde de plus près son parcours, on peut alors s’apercevoir de saisons ratées, d’une carrière sinusoïdale. Des échecs qui s’expliquent par un facteur majeur, la maladie. Ses soucis mentaux se passent souvent lors des années paires, pendant le printemps et l’automne. C’est ainsi que durant sa carrière, les années durant lesquelles il effectue des saisons pleines sont des années impaires (1983, 1987, 1989…).  Malgré les difficultés et cette maladie sournoise qui le guette à chaque instant, il revint à chaque fois à son meilleur niveau, preuve de sa ténacité et de sa détermination.

«Si la maladie m’a été donnée, c’est qu’elle m’a été donnée pour quelque chose. Rien n’arrive par accident et je dois vivre avec et ne jamais m’écarter des commandements de Dieu.» Du Fyodor Cherenkov dans le texte rapporté par Igor Rabiner, journaliste sportif spécialiste du Spartak.

S’il fut médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Moscou en 1980, cette maladie explique son absence lors des compétitions internationales. Ainsi, Fyodor ne participa à aucune Coupe du Monde ni Coupe d’Europe. De 1979 à 1990, il fut sélectionné 34 fois et marqua 12 buts, on peut notamment citer son but lors de la victoire 2-1 de l’URSS face au Brésil lors d’un match amical au Maracana. C’est d’ailleurs l’unique victoire de l’URSS et de la Russie contre le Brésil.

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Il est tout de même dommage que Beskov, alors sélectionneur de l’URSS en 1982 ne le sélectionne pas pour la Coupe du Monde en Espagne. Il effectuera une de ses meilleures saisons l’année suivante. De même, il n’est pas sélectionné par Lobanovski, alors sélectionneur lors du Championnat d’Europe en 1988. Il est vrai que la grande domination du Dynamo Kiev fera qu’une grande partie de la sélection soviétique proviendra de l’actuelle capitale ukrainienne, laissant peu de chances à Cherenkov de pouvoir s’intégrer au jeu de l’équipe.

Le Spartak et… le Spartak

Son amour inconditionnel du Spartak Moscou et la situation politique en URSS ne lui donnent pas l’occasion de partir jouer à l’étranger. « J’ai eu une proposition non officielle de la part d’Aston Villa en 1983. Mais je n’imaginais pas pouvoir jouer autre part, dans une autre équipe. Le Spartak pour moi, c’était TOUT! »

Il fera cependant une exception en 1990 en signant un contrat pour 3 saisons avec le Red Star, club évoluant alors en D2 française. Il y retrouve ainsi son compère de toujours, Segeï Rodionov, mais, contrairement à son camarade, Fyodor n’y restera finalement que quelques mois avant de rentrer à Moscou et de réintégrer son club de toujours, le Spartak.

« Moi et Sergei Rodionov souhaitions jouer ensemble et nous voulions essayer de jouer à l’étranger. Mon jeu là-bas n’a pas été un succès. Cette année fut difficile pour moi. »

fyodor_cherenkovLe changement brutal entre une URSS qui s’ouvre et la vie en France a sûrement dû être difficile pour Cherenkov. Les exemples de Soviétiques qui n’ont pas percé à l’étranger sont légion, mais, n’oublions pas que le joueur est un moscovite pur sang, non pas un globe-trotter du football. Dans son club de toujours, Fyodor y terminera ainsi sa carrière, avec un dernier match, à l’âge de 34 ans, un soit de novembre 1993 contre Rostselmash pour une victoire 3-0.

Symbole de son empreinte au sein du Spartak Moscou, il eut le droit à un match d’adieu le 23 Aout 1994 à Moscou, au stade du Dinamo, contre Parme. Un match où il eut le droit à un cadeau spécial à la mi-temps, à savoir … une jeep Pajero rouge et blanche. Oui, Cherenkov est spartakiste jusqu’au bout.

« Ce match était un cadeau! 35000 spectateurs alors que durant la saison le maximum était de 10-15000! Avant le match, Nikolai Ozerov lu les compliments du Président Eltsine puis les cris d’un coup résonnèrent « Fedia ne pars pas! ». » 

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Sa carrière de joueur terminée, il ne quitte pas pour autant le football et encore moins le Spartak. De 1994 à 1999, il est entraineur des différentes formations du club, des jeunes à l’équipe première. Durant les dernières années, il rechausse les crampons pour intégrer l’équipe des vétérans du Spartak Moscou. Jusqu’à la fin, Fyodor porta le Spartak Moscou dans son cœur. Le même qui battait dans sa jeunesse lorsque son père l’emmenait au Luzhniki voir le match Spartak – Dynamo Kiev.

Un homme au grand coeur

Dans l’ensemble de mes lectures, ses qualités de footballeur sont évidemment mises en avant mais personne n’oublie l’homme qu’il était, à savoir un homme simple, sans fioritures, revenant des entrainements en métro, ne rechignant jamais à signer des autographes, toujours avec le sourire. Un patriote, membre du Parti Communiste, plus que jamais Moscovite dans l’âme et portant très haut les couleurs rouges et blanches du Spartak. C’est ça aussi Cherenkov. Un homme au grand cœur qui reçut pêle-mêle de distinctions comme l’Ordre de l’insigne d’honneur en 1985 et 1997, l’Ordre de l’amitié des peuples le 23 aout 1994 ou encore la distinction de la Fédération de Russie comme « Légende du football » en 2009.

Malheureusement, en 2014, son état de santé s’aggrave et le 4 octobre 2014, après 10 jours dans le coma, Cherenkov s’éteint. Le 7 octobre, environ 13 500 personnes assistent à son enterrement. Le président du Spartak, Leonid Fedun, décrète que l’une des tribunes du stade Otkrytie Arena portera son nom. Lors du match face au Lokomotiv Moscou, le 26 octobre 2014, les supporters rendent hommage comme il se doit à Cherenkov, Spartakovets dans le sang et à jamais dans le cœur des supporters.

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Vincent Tanguy, vous pouvez le suivre sur son site et la communauté sur Twitter.

Pour finir un petit film qui retrace l’histoire de Cherenkov (en russe) et une compilation de ses buts.

3 Comments

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