« Un jour, Gigi Becali est allé à l’église. Priant comme à son habitude, il se rend devant la statue du Christ. Mais aujourd’hui, ce dernier s’adresse à lui:

« –Gigi, enlève le clou dans ma main droite s’il te plaît, il me fait mal. »

Très surpris, Gigi s’empresse de répondre à la demande de son seigneur.

« –Gigi, enlève le clou dans ma main gauche s’il te plaît, il me fait mal. »

Gigi s’exécute évidemment sans tarder. Alors le Christ commence à taper dans les mains en chantant :

« Pleacăăăăă din Ghencea, Becali pleacă din Gheeencea ! » (« Pars de Ghencea, Becali pars de Ghencea ! »)

Cette blague populaire dans la capitale roumaine existe depuis une dizaine d’années, et ne semble pas prendre une ride. Si elle n’est évidemment pas à la gloire de l’homme d’affaire, celle-ci illustre bien l’inscription durable du personnage de Gigi Becali dans l’imaginaire collectif roumain et son histoire contemporaine. Comment cet homme d’affaire roumain a-t-il pu devenir en quelques décennies l’un des hommes les plus puissants du pays?

Becali, un « self-made man »

George Becali naît le 25 juin 1958 dans le petit village de Zagni. Il est issu d’une famille d’origine aroumaine : une frange de la population originaire de Grèce ayant émigré en Roumanie pour vivre du commerce. Cette communauté a été très largement déportée durant l’ère communiste, ce qui fut le cas de la famille Becali. Par la suite, son père fera sa richesse dans l’élevage de moutons ce qui lui permettra de nourrir sa petite famille. Néanmoins, George ne suivra pas les traces de son père, et occupera tout d’abord un modeste poste de serrurier, puis de mécanicien dans un institut de recherche en électronique. Ambitieux, Becali va profiter de la crise politique de 1989 avec la chute de Ceaușescu pour commencer à importer des jeans et des cigarettes en Roumanie grâce à son patrimoine et un prêt d’un certain Georghe Hagi, lui aussi membre de cette communauté aroumaine. En effet, la principale richesse de Gigi Becali provient de ses investissements financiers. Estimée à 725 millions d’euros, celle-ci a énormément chuté avec la crise internationale de l’immobilier et le transfert d’une partie de ses richesses personnelles à ses filles. Pourtant en 2008 Becali est l’homme le plus riche du pays, avec une fortune estimée entre 2,8 et 3 milliards de dollars. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, tant les estimations sont contradictoires. Becali devient actionnaire majoritaire du Steaua București à la fin des années 1990 en ayant évincé petit à petit tous les concurrents potentiels.

Populiste de talent fidèle à des valeurs chrétiennes.

Mais là où Becali se détache des autres hommes d’affaires, c’est dans sa polyvalence. En 2004, il prend la tête du parti politique Noua Generație (Nouvelle Génération), parti conservateur orthodoxe avec qui il obtiendra 1,77% des votes aux élections de 2004, puis 4,85% aux européennes de 2007.  Le rapport à la religion est toujours omniprésent dans les choix de Gigi Becali, jusque sur les maillots de son club. La devise de Noua Generație devient donc : « Pour la croix et le peuple roumain ! » Populiste porté par l’argent, Becali atteint très rapidement une certaine notoriété en politique ce qui lui vaut la comparaison avec le premier ministre italien de l’époque, Silvio Berlusconi. Rétrospectivement, les déclarations de Becali à l’époque de sa prise du pouvoir au sein de Noua Generație peuvent sembler ironiques : « Je veux tuer le Diable en Roumanie, ainsi que la corruption et les mensonges. » a-t-il déclaré à la BBC. Pour ce qui est de « tuer le Diable », Becali s’y attelle effectivement : les dons pour la construction d’églises et monuments religieux orthodoxes pleuvent notamment près du Mont Athos. Ces dons dans une Roumanie encore majoritairement orthodoxe plaisent à la population, qui vont même élire Gigi Becali comme le treizième homme le plus important de l’histoire du pays.

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« Manea » chanson traditionnelle d’inspiration gitane qui rend hommage à Becali. « Un grand nombre de personnes aidées, il n’a fait que de bonnes actions, il est aimé et apprécié, et faussement accusé. »

 

Faussement accusé. Car Becali est presque aussi connu pour ses actions sociales et politiques que pour ses débordements et démêlés avec la justice. Élu aux législatives de 2012 au poste de membre du comité judiciaire de la Chambre des députés, Gigi Becali devra démissionner quelques mois après du parti libéral, auquel il avait adhéré pour devenir député indépendant suite à son implication dans différentes affaires. Son mandat prit fin de façon définitive quand il fut désigné coupable de corruption de hauts fonctionnaires dans la vente de terrains avec l’armée de la Défense. Condamné à trois ans et six mois ferme, incarcéré depuis mai 2013 , Gigi Becali est sorti de prison ce week-end. Bénéficiant d’une libération conditionnelle, il retrouve la liberté après un an et dix mois passés derrière les barreaux, soit un tiers de sa peine.

FC Steaua Becali?

Celui qui fut président du Steaua Bucuresti entre 2003 et 2007 mais qui en reste propriétaire fut de nombreuses fois inquiété dans des affaires de matchs truqués. En effet, on le soupçonne d’avoir arrangé le derby entre l’Universitatea Cluj et le CFR Cluj afin de permettre au Steaua d’être champion en 2008. Malgré les preuves irréfutables que le président du club bucarestois avait promis ne valise de billets aux joueurs de l’U Cluj pour les motiver à battre le CFR, Becali fut finalement acquitté. Toutefois, un désamour réel s’est créé au sein du Steaua entre le propriétaire et ses supporters. L’ingérence de Becali dans les choix de joueurs et les feuilles de matchs s’est rapidement fait ressentir, au point que les supporters demandent à Becali de quitter Ghencea et de se cantonner à son rôle de propriétaire avec la chanson Pleacă din Ghencea réutilisée dans l’ouverture de cet article. « Part de Ghencea » est alors un mot d’ordre que les supporters affichent alors dans le monde entier !

Hagi devait être limogé de son poste d’entraîneur du Steaua București après des propos honteux sur la star de l’époque Mirel Rădoi, mais fut maintenu de par sa proximité avec son parrain, un certain Gigi Becali. Récemment, l’absence d’Arlauskis, gardien indiscutable du Steaua face au Rapid était une demande de Becali qui, depuis sa prison, a fait savoir qu’il ne voulait pas que le portier lituanien dispute ce match pourtant si important tant qu’il n’avait pas signé son nouveau contrat. Un choix de plus pour attiser l’ire des supporters, contre lesquels il se bat depuis maintenant presque dix ans. Aujourd’hui, la fronde contre le président est totale.

Les tensions entre l’armée et le riche propriétaire se sont accentuées comme montré précédemment, ce qui va mener le Ministère de la Défense à récupérer l’appellation Steaua București et son logo. Qu’à cela ne tienne, Becali crée un nouveau logo qu’il impose aux supporters. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas du goût de tout le monde : une croix qui rappelle très fortement la croix orthodoxe, et semble plus destiné à ravir les convictions personnelles de Becali que celles du club. Ayant l’impression d’être dépossédés de leur club, les ultras stelistes des Peluza Nord et Sud boycottent les matchs depuis la reprise du championnat. Une situation qui ne semble pas prête de s’arranger avec la volonté de mettre en place un club en récupérant le titre Steaua București à l’armée géré uniquement par des socios. Dans le but de faire revivre un club considéré comme l’héritier naturel du Steaua de 1986, mais surtout dans celui de rallier tous les supporters derrière une équipe destinée à contrer celle de Becali. La rupture semble bel et bien consommée, et ce dernier aura bien du mal à récupérer sa place de sauveur dans le cœur des stelistes, une place qu’il occupait il y a une dix ans lorsque le club réussissait à disputer la Ligue des Champions après une décennie d’absence.

Des dérapages verbaux dans les médias.

Becali est un homme public, et ne manque jamais une occasion de faire parler de lui, en bien ou en mal. Joint par téléphone pour la chaine de télévision Antena 1, le journaliste lui demande ce qu’il souhaitera faire en premier pour les élections à venir. Réponse de Becali : « En premier, je veux que tu suces ma ****, toi, Dan Voiculescu (patron de Antena 1, ndlr), Antena 1 et tous ceux qui y travaillent !« . Cela aura le mérite d’être clair. Après de longues minutes d’insultes, le journaliste demande à Becali pourquoi toute cette haine contre lui et le media qui l’emploie. Il n’obtiendra pas de réponses autres que de nouvelles insultes encore plus inventives. Il se fera de nouveau remarquer en insultant l’historien Neagu Djuvara de « vieil homme sénile« , ainsi qu’en tenant des propos ouvertement racistes, antisémites et homophobes (on se souvient notamment en France de son refus de faire signer Sinama-Pongolle).

Personnage controversé, Gigi Becali est incontournable en Roumanie sur son aspect social, économique et politique. Tantôt sauveur du Steaua par son investissement permettant au club d’enchaîner les titres nationaux, tantôt bourreau en détruisant ce qui faisait l’âme du club, l’amour-haine des stelistes pour Becali n’a fait que grandir années après années. Ayant touché le peuple à travers tous les moyens possible, il a réussi le tour de force d’être respecté par toutes les franges de la population pour son action ou ses frasques médiatiques. Aujourd’hui, Becali sort de prison et il est plus que probable que nous ayons de ses nouvelles dans un futur très proche.

 

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Manea à la gloire du Steaua București qui associe à demi-mot Dieu et Becali. Toute une symbolique.

Hadrian Stoian et Pierre-Julien Pera.

Merci à « Adi Veceu ».

4 Comments

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