Le long de la paradisiaque baie de Kvarner, nombreux sont les habitants à connaître les marins du coin. Beaucoup sont amis et prennent le large ensemble. Alors forcément, quand un des leurs ne revient jamais, la tristesse se ressent. Les funérailles ont alors lieu, selon la tradition locale. A la disparition du NK Pomorac Kostrena, club de deuxième division croate, le même rituel s’est enclenché.

Enterrement du NK Pomorac Kostrena

Dans la nuit de samedi à dimanche, la grande famille du NK Pomorac Kostrena s’est réunie, vêtue des couleurs du club, à la station de bus située sur la colline surplombant le stade Zuknica. Tout ce petit monde a marché religieusement pour aller déposer des fleurs et des lanternes sur la station. La date du 19 octobre restera dans les mémoires comme le décès du NK Pomorac et du football en général à Kostrena, petite bourgade maritime jouxtant Rijeka. Les joueurs, eux, étaient apparus au stade un peu plus tôt, vers 13h30, nullement prévenus que le match prévu contre Imotski ne se déroulerait pas. La ligue, HNS, avait pourtant envoyé une lettre à leurs adversaires la veille pour les informer que le match ne débuterait pas.

Au moment de la dernière réunion officielle avec la plupart des membres de l’administration, l’ambiance était bien celle de l’enterrement d’un club de 93 ans. Il y avait beaucoup de tristesse, même des larmes comme celles de la secrétaire Petra Zudic qui était venue vêtue d’un tee-shirt à l’effigie du club.  Quelqu’un a sorti du placard les maillots des saisons de 2001 à 2003, quand « la fierté de Kostrena » jouait au plus haut échelon du football croate. Un membre revivait avec fierté le match de Pomorac en demi-finale de Coupe de Croatie 2002. D’autres faisaient remarquer non sans regrets qu’il y avait probablement plus de bougies brûlées devant l’arrêt de bus que de gens présents au stade cette saison. Une preuve que personne n’avait complètement oublié le NK Pomorac Kostrena.

« C’est le jour le plus tragique de l’histoire de Kostrena. La tristesse et la douleur ne nous quitteront pas avant plusieurs années. Ces lettres noires resteront dans l’histoire de la ville » a déclaré Vjekoslav Bakasun, médecin du club et membre de longue date du conseil.

pomorac kostrena

Mais comment en est-on arrivé là?

Tout a commencé en hiver, lorsque la municipalité de Kostrena a décidé de réduire les subventions du club local sur fond de conflits d’intérêts politiques entre le maire de la ville et le président du club. La dette, déjà présente pour cause de gestion hasardeuse, s’est fortement accrue à partir de ce moment-là. En outre, la coopération avec le géant local, Rijeka, a été inexplicablement interrompue. Damir Miskovic, le riche président du club qui a le vent en poupe, avait des projets pour Pomorac Kostrena. Ces deux dernières saisons, il a investi près d’un million de kunas dans le club et a prêté de nombreux joueurs. Il projetait de reconstruire le stade Zuknica pour faire jouer Rijeka pendant la reconstruction du mythique Kantrida mais l’opération n’a pas pu aboutir et les relations se sont refroidies, ce qui aurait conduit Miskovic à stopper la coopération.

L’été venu, deux options se sont présentées au club. La première était l’option Zlatko Petricevic. Ce mystérieux homme d’affaires, très respecté en Amérique du Sud (probablement en raison de ses liens avec Pablo Escobar…) souhaitait reprendre le club. La deuxième option était de descendre au plus bas de l’échelon du football croate pour repartir sainement. Bien entendu, l’option numéro 1 fut choisie, dans une tentative désespérée de sauvetage. Ainsi, personne ne s’est demandé pourquoi le businessman avait été recalé à la reprise de Rijeka, à l’époque où le club vivait sans le sou.

Il est difficile d’énumérer toutes les divergences au sein du club et le nombre de situations extravagantes qui se sont passées à Pomorac Kostrena depuis que Petricevic a repris le club fin juillet. Le premier à avoir été débarqué fut Goran Gajzler, l’assistant manager, qui a osé s’opposer aux idées du tout puissant président et de sa famille, placée dans l’administration du club. Dès son arrivée, Petricevic n’a pas manqué une occasion pour souligner son expertise du football, pour le plus grand agacement de beaucoup au club.

Les promesses de remboursement des dettes n’ont pas été tenues et les joueurs, non payés, ont commencé une grève de l’entraînement dès le mois d’Août. Le capitaine et leader Muminovic, porte parole du groupe, a perdu son brassard pour s’être imposé en « chef rebelle ». Lors du premier match à domicile, Zlatko Petricevic a critiqué ouvertement les choix des entraîneurs en leur imposant d’effectuer d’autres changements. Le coach principal qu’il avait fait venir, Marijan Bloudek (son ami !), s’est fait virer après trois matchs. Son successeur fut Vito Butorac, lui aussi un proche du président… Par la suite, deux joueurs de l’effectif qui n’avaient pas reçu un seul salaire depuis le début de la saison partirent et les résultats ne s’améliorèrent pas. Pour finir, le NK Pomorac se vit accorder une fin de non recevoir par la ligue croate pour des frais impayés dus à une dette de plus de 800.000€. Le sulfureux homme d’affaires, lui, est condamné à deux ans d’interdiction de toute activité liée au football pour menaces de mort et agressions physiques envers des journalistes.

Désormais, il ne reste plus qu’un arrêt de bus aux couleurs du club des marins. Cet endroit où les amoureux du club s’arrêtaient avec fierté il y a 10 ans pour aller dans leur stade préféré, ne leur apporte plus aujourd’hui qu’une grande tristesse.

Damien Goulagovitch

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