Début décembre, les images d’un match amical entre équipes de quatrième division roumaine ont fait le tour de la planète. Certes les images du show pyrotechnique organisé par les supporters des deux clubs valaient le coup mais l’histoire, qui a amené la tenue de ce match, est sans doute encore plus intéressante. Quand les supporters de clubs roumains décident de prendre en main la destinée de leurs clubs.

Deux projets citoyens de supporters

Ce fameux match amical était organisé par l’ASU Politehnica Timisoara qui recevait le FC Arges 1953. Ces deux clubs ont la particularité d’avoir été créé et d’être géré par les supporters des clubs. Le projet Druckeria à Timisoara est un peu plus vieux puisqu’il date de la saison dernière, comme je vous l’expliquais sur HorsJeu en septembre 2013 et il fait figure d’exemple en Roumanie. Pour Andrei Otineanu, supporter du FC Arges 1953, être invité par l’ASU Poli était donc très symbolique : « Le plus important est que le Poli a décidé de nous inviter, cela veut dire qu’ils reconnaissent notre passion et notre projet. Nous avons dû conduire 8 heures pour aller à Timisoara mais ce fut fabuleux. Le spectacle dans les tribunes et le match ont été exceptionnels. »

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Les deux groupes de supporters et les clubs sont également unis par la couleur violette qu’ils portent tous les deux, ce qui a offert ces images saisissantes d’un stade entier sous des fumées blanches et violettes. Ces deux projets sont bâtis sur une même vision : « Nous avons tous deux le même objectif : construire une histoire de manière sereine et propre. Nous sommes les modèles des clubs de football gérés par des supporters. L’équipe vivra grâce à nous. Nous sommes les seuls capables de faire vivre ce club. »

En effet, que ce soit à Timisoara ou Pitesti (Arges est le club de cette ville), ces deux clubs ont une grande histoire sabotée ces dernières années. Andrei rappelle l’histoire du FC Arges : « C’est l’un des plus grands clubs que la Roumanie ait connue. Sous Ceaucescu, seuls Craiova et Arges ont su remporter le championnat à côté du Dinamo et du Steaua, les équipes respectives de la police et de l’armée. En 1972, nous avons joué contre le Real Madrid et gagné 2-1 à Pitesti (retrouvez le portrait du Prince de Pitesti, Nicolae Dobrin). Nous avons aussi rencontré de grands clubs comme Valencia ou Nottingham Forest. Nous avons été deux fois champions en 1972 et 1979. En 2009, nous avons été relégués après que le propriétaire du club ait arrangé des matchs, sans que rien n’ait été prouvé à l’époque. En 2013, l’équipe a été dissoute et nous avons commencé notre nouveau projet cette saison. »

Des projets menés par amour du maillot contre les municipalités

La similarité entre la situation à Timisoara et à Pitesti continue avec des décisions de municipalités incongrues qui décident de racheter des licences de clubs d’autres villes pour les faire jouer dans leurs stades : « Après que le maire ait décidé d’amener une équipe pour jouer à Pitesi, nous avons fait une réunion avec les anciens joueurs et nous avons décidé de créer un nouveau club, qui a commencé au plus bas étage, en D4. » Pitesti compte ainsi aujourd’hui deux clubs, l’un en D2, l’ancien FC Clinceni et notre FC Arges 1953 qui évolue en D4.

C’est donc cet été que le projet d’Arges 1953 a pris vie. Florin Dobre, président des supporters Ultras Viola, racontait à cette époque dans la presse roumaine :« Qu’est ce qui peut être plus beau pour un supporter que la satisfaction d’aider l’équipe grâce à laquelle nous avons appris ce qu’est le football ? Nous avons besoin plus que jamais d’être unis, pour soutenir ce projet que nous avons débuté. Le FC Arges va renaître grâce à ses supporters. Ce ne sera pas simple, mais la satisfaction tirée de chaque succès va nous faire aller de l’avant. Le plus compliqué pour l’instant est d’avoir un budget nécessaire pour assurer le futur de l’équipe. »

Le FC Arges va de l'avant
Le FC Arges va de l’avant

Dobre est ainsi devenu un des leaders de ce nouveau club, appuyé dans le staff « par d’anciens joueurs qui ont décidé d’apporter leur expérience. » Mais la vie n’est pas simple pour le FC Arges 1953 qui ne peut compter que sur la générosité de ses membres et partisans pour vivre : « Nous n’avons aucun sponsor. Nous avons vendu des cartes de membres qui valent 8, 25 ou 120 euros. A chaque match, on récolte de l’argent pour l’équipe avec une boîte à donations. Quelques journaux et sites Internet ont écrit sur nous, de même quelques joueurs importants nous ont donné de l’argent pour l’équipe. A l’heure actuelle, nous ne sommes pas très connus mais le temps fera son affaire. »

A l’heure actuelle, l’équipe est sur un bon chemin au niveau sportif avec une deuxième place à la trêve à cinq points du premier. « Nous sommes aussi en quart de finale de la coupe du judet d’Arges », ajoute Andreï. Un autre élément donne aussi de l’espoir pour le futur, l’emprisonnement du maire de Pitesti : « La municipalité nous a considéré comme une blague mais nous avons plus de supporters que l’équipe qu’ils ont amené pour jouer en D2. A l’heure actuelle, le maire est en prison donc on espère que le prochain nous aidera. »

L’avenir du football roumain ?

Aujourd’hui en Roumanie souffle un vent de changement. Celui-ci s’est déjà manifesté sur le monde politique avec l’élection présidentielle gagnée par Klaus Iohannis. La manière dont Victor Ponta a été bouté du pouvoir par un peuple avide de changement, n’hésitant pas à utiliser les moyens de communication modernes pour faire savoir son ras-le-bol d’un système gangrené et corrompu, semble démontrer cette volonté.

Malheureusement le football roumain n’est pas dans une meilleure situation que son système politique, d’où les affaires de corruption ressortent de manière discontinue. Le Steaua doit négocier pour garder son nom, le CFR Cluj ne paye plus ses joueurs depuis de longs mois, le Dinamo Bucarest était en quasi banqueroute et demeure fragile financièrement, le Petrolul doit environ 250 000€ à la société qui gère son stade et pourrait donc déménager du mythique Ilie Oana ! Pour Andreï, « le football roumain est très corrompu : les équipes, les joueurs, les arbitres, les propriétaires de clubs ne cherchent qu’à gagner de l’argent. Les fans font partie d’un monde différent. Nous donnons notre argent et notre espoir pour quelque chose qui n’est pas certain. »

Aujourd’hui, les projets menés par les supporters à Timisoara et Pitesti n’en sont qu’à leur début mais ils démontrent malgré tout que la volonté de quelques supporters peut engendrer de vraies perspectives et des projets viables. Andrei ajoute : « Les projets du Poli et du FC Arges sont les meilleures alternatives. Nous avons des supporters, des équipes légendaires et une grande volonté de nous battre. Je pense que dans 15-20 ans, la Liga I roumaine ne sera composée que de clubs gérés par des supporters. Aujourd’hui, nous ne sommes que 4 clubs comme cela, tous en D4 avec Timisoara, Arges, Sibiu et Vaslui. Dans quelques années de nombreux grands clubs vont disparaître et seuls les fans auront le pouvoir de les sauver. »

Heureusement, il restera toujours dans ce football roumain des hommes qui aiment ce jeu, qui aiment leurs villes et leurs couleurs. Ces clubs sont des bastions d’une vie communautaire, des rassemblements de passionnés prêts à dédier temps, argent et énergie par simple fidélité pour des couleurs, une ville et une certaine vision du football. Une vision peut-être désuète mais qui pourrait avoir de l’avenir en Roumanie et ailleurs.

Tristan Trasca

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