Notre route se poursuit à Brno, deuxième plus grande ville de République Tchèque. En cette journée de début août, la chaleur écrase la capitale morave, au contraire du nombre de touristes. Pourtant, la ville est très agréable. Dans le dédale de ruelles, tavernes, brasseries et musées se font la part belle. En montant de nombreuses marches (heureusement une Pilsner nous attendait au bout), nous avons le plaisir de contempler un magnifique panorama à partir de la forteresse du Spielberg qui domine la ville. La taille de celle-ci a beau être grande, tout est assez dense pour être fait à pied.

La seule utilité du tramway sera pour aller à l’impopulaire stade Mestsky Stadion Srbska. Ce stade est en réalité celui du FC Královo Pole, deuxième club de la ville qui a longtemps squatté la deuxième division. Mais depuis la banqueroute et la disparition du club, la direction de Zbrojovka a décidé de jouer dans ce stade au loyer bien moins élevé que l’historique Lužánky, construit en 1953.

Pour Jakub, jeune fan du club, il n’est pas question de mettre un pied au Srbská : « Ce stade est trop éloigné du centre et ce n’est pas le notre. Nous n’avons pas aimé l’idée de déménager alors nous boycottons les matchs. Et nous le ferons jusqu’à qu’ils rénovent le stade ou en construisent un nouveau au même endroit. » En revanche, quand on lui parle du mythique Lužánky, le ton est différent : « J’ai 16 ans et je n’ai jamais eu la chance d’assister à un match de ligue à Za Lužánkami mais je l’ai visité il y a un mois pour célébrer la fin de la carrière de Petr Švancara et c’était … wow … 35000 personnes mec ! C’était le plus beau jour de ma vie ! Nos ultras sont les meilleurs d’Europe ! »

Le peuple de Brno est de retour. le stadion Za Lužánkami revit.
Le peuple de Brno est de retour. le stadion Za Lužánkami revit.

[youtube 04SsJ1O_juw]

« Prenez un sac et venez avec le train express »

Le football dans la ville n’a pour autant pas connu que des temps de vache maigre. Dans les années 1920, déjà, des milliers de personnes se massent pour assister aux premiers du succès du SK Židenice. Cette appellation vient directement du nom de la banlieue de Brno où le club a été formé en 1913, ramenant les membres restants de l’équipe junior du SK Achilles, club fondé en 1907. Le fils de 17 ans d’un riche meunier du coin, Cyril Lacin, gérait toutes les affaires du club tandis que son père avait la fonction de président et donnait l’argent.

Le SK Židenice avait alors un trésor plus important que l’argent: la farine. Avec cela, Cyril Lacin pouvait persuader beaucoup de joueurs de venir lors des pires moments de la Première Guerre mondiale. La riche usine de son père fournissait les locaux pendant la pénurie. Pour les bons joueurs venant de loin, il envoyait sa fameuse lettre d’invitation « prenez un sac et venez avec le train express ». Quand tout le monde était réquisitionné, Lacin sortait un autre tour de son sac: ses liens avec le chirurgien de la garnison militaire. Lorsqu’une équipe jouait à Brno et que Lacin repérait un bon joueur, il lui donnait un sac de farine puis lui conseillait de simuler de violents ulcères gastriques pour qu’il ne revienne pas au front. Le médecin validait le fait qu’il ne puisse plus aller à la guerre. En guise de primes de matchs, Lacin emmenait les joueurs au restaurant.

L’équipe qui débute en maillots rayés rouges et blancs acquiert vite sa petite popularité et joue des derbys endiablés contre le Slavia Moravie Brno. Le club survécut au choc qu’a causé le décès de Cyril Lacin en 1920. L’homme très populaire est décédé d’une tuberculose, à seulement 25 ans. Heureusement, un autre industriel, Rudolf Foller, obtint le club qui pouvait commencer une nouvelle période glorieuse.

Zbrojovka, le football en guise d’arme.

L’importante société d’armement de Brno, Zbrojovka, amenait des renforts de qualité en leur donnant un bon travail. Un joueur du Sparta gagnait sa vie en travaillant à la banque, mais quand il ne jouait plus avec le club, il était congédié. Zbrojovka était solide et proposait à ses joueurs des offres de travail à plus long terme, la sécurité de l’emploi était ainsi une proposition intéressante pour beaucoup de joueurs. De plus, le club payait les repas à l’auberge, les chaussures, vêtements et le mobilier de l’appartement. Le SK Židenice commençait alors à prospérer.

fkjdjjhfdb
Le SK Židenice en 1930

En 1926, le club est champion de Moravie et du championnat amateur de Tchécoslovaquie, des premiers succès devant une foule enthousiaste. En 1932/1933, lors de sa première saison chez les professionnels, l’équipe remporte la deuxième division et monte au plus haut échelon, une première pour un club de Moravie. Le club a les moyens de voyager et part en France pour atomiser Nîmes (4-2) et Bordeaux (6-0) mais l’élan va s’arrêter sous la domination allemande. Les compétitions professionnelles étaient interdites, tout comme le soutien des clubs par des entreprises manufacturières. Zbrojovka est donc contraint de stopper son support. Les matchs de football amateur commençaient à être investis par les patriotes qui pouvaient donner libre cours à leurs pensées politiques … jusqu’à ce que les nazis mettent en place leurs organes de contrôle et les exécutions pour trahison. A l’arrivée du front de guerre à Brno, les frappes aériennes endommagent le stade Rybníčk, où le club joue depuis sa création mais aussi le secrétariat du club et avec ce, tous les trophées et documents précieux. Dans le même temps, la plupart des membres du club décèdent au combat.

Après ces années noires, le football reprend ses droits lors de la saison 1946/1947. Židenice réalise une grande première partie de saison mais s’écroule par la suite. Le coach est révoqué alors que les joueurs décident de mener une grève par soutien. En fin de saison, les rumeurs concernant des pots-de-vin en première division éclatent et le club de Brno est concerné. Toutes les équipes trempant dans le scandale sont alors reléguées.

L’année suivante, le club remonte dans l’élite et un nouveau stade se construit: le fameux Za Lužánkami. Pendant ce temps les Soviétiques arrivent au pouvoir à la faveur d’un coup d’état et les clubs doivent passer sous le contrôle public. Le changement de nom est acté en Zbrojovka Brno, du nom de l’entreprise d’armement qui fait vivre le club depuis longtemps. Nos amis soviétiques décident aussi de changer les règles et le championnat se jouera sur l’année civile soviétique. Cela ne réussira pas au Zbrojovka, relégué, une nouvelle fois, en deuxième division. C’est alors que les bons soviets décident purement et simplement de supprimer la deuxième division pour se débarrasser des équipes avec un passé professionnel !

Le championnat régional qui le remplace est remporté haut la main. Sous la pression du ministre de l’Intérieur est fondé l’Étoile Rouge de Brno qui aura un certain succès pendant une dizaine d’années, jouant quatre saisons en première ligue Tchécoslovaque. En 1956, Zbrojovka, toujours coincé à l’échelon régional, devient le Spartak Brno par crainte que l’ennemi découvre d’où provenait la production d’armes du pays. En 1962, l’Étoile Rouge descend et entreprend de fusionner avec le Spartak pour revenir en première division.

Zbrojovka, qui est redevenu le nom du club, devient une force montante du football tchécoslovaque dans les années 1970’s. Après des places d’honneur, le club change de standing en 1976 avec l’arrivée du ballon d’or 1962 au poste d’entraîneur, Josef Masopust. Avec ce dernier à sa tête, Brno termine à une très belle quatrième place et séduit avec un jeu très offensif. Directement, le club acquiert un nouveau prestige. La saison suivante est la plus belle de l’histoire du club. Les stars Kroupa et Jarůšek emmènent l’équipe au sommet de la Tchécoslovaquie, battant notamment le Sparta 3-0, le Slavia 5-2 ou Plzen 3-1 ! Zbrojovka devient champion en battant Trnava 1-0 et devient le sixième club tchécoslovaque à accéder au trophée, et le premier de Moravie. 40000 supporters venaient pour chaque rencontre à domicile et le stade Za Lužánkami devint volcanique lors de la remise du trophée.

« Vous pourrez continuer en deuxième division uniquement si vous gagnez le championnat »

Malgré ce succès historique, le club n’arrive plus à rééditer les mêmes performances mais fait ses armes en Europe. Après plusieurs essais, la saison 1979/80 est la bonne: Zbrojovka atteint les quarts de finale de la coupe UEFA après un superbe parcours. Après ce bel effort, Masopust quitte le navire et le club ne s’en remettra pas en étant relégué en 1983. La deuxième année, un scandale de corruption touche le club. La fédération réagit avec la déclaration suivante: « Vous pourrez continuer en deuxième division uniquement si vous gagnez le championnat. ». Bien évidemment, pour la beauté de l’histoire, Brno gagnera le championnat, sauvant ainsi sa place. Ce n’est qu’en 1989 que Brno remonte mais l’entreprise Zbrojovka est en crise et se trouve incapable de soutenir le club de football. Juste avant l’indépendance tchèque, Lubomír Hrstka reprend le club qui devient Boby Brno et Josef Masopust revient pour une saison.

« Zbrojovka est le nom historique du club et de la plus grande usine d’armement du monde, c’était une fierté de la ville. »

Au milieu des années 1990, 40.000 personnes pouvaient se déplacer pour des matchs contre des grosses écuries du championnat, alors que des affluences de 3.000 spectateurs font aujourd’hui la satisfaction des responsables. Les finances se sont détériorées progressivement, les dirigeants se sont succédé et le stade a donc changé. Même le nom, qui est redevenu Zbrojovka. Ce qui ne déplaît pas aux fans comme me l’explique Jakub: « Boby est le nom d’un luxueux hôtel à côté du stade, qui existe toujours d’ailleurs. Mais Zbrojovka est le nom historique du club et de la plus grande usine d’armement du monde, c’était une fierté de la ville. »

On the road, in the stadium !

Depuis la faillite de Královo Pole, le Zbrojovka est le seul club de la ville, ce qui est surprenant au vu de la taille de l’agglomération. Toutefois, dans la région, il peut aussi être intéressant de voir jouer Znojmo dans un stade rénové (ils étaient contraints de jouer à Brno lors de leur récente saison en première division car leur stade n’était pas aux normes). Les plus intrépides pourront même aller à Blansko, petite ville industrielle de 20.000 âmes proche de la réserve naturelle de Karst. Un groupe de supporters du club local est … Britannique ! Malheureusement, nous n’aurons pas le temps de nous y attarder dans notre périple.

Après une victoire et une défaite, Brno semble déjà avoir trouvé sa place dans le championnat, à savoir le ventre mou. Jakub pense cependant que son équipe a les capacités de faire une saison correcte: « Nous pouvons gagner des matchs grâce à Jakub Řezníček que nous avons acheté à Mlada Boleslav et qui était prêté au Sparta Prague l’an dernier. C’est un bon joueur. Un autre de nos atouts est notre meilleur milieu de terrain, Pavel Zavadil, qui a 37 ans et entame sa quatrième saison avec nous. »

Les ultras du Slavia
Les ultras du Slavia

En arrivant au stade pour la rencontre opposant Brno au Slavia, on se rend compte qu’il n’était pas vraiment nécessaire d’acheter des billets. Ici, personne ne les vérifie et il n’y a pas besoin de les scanner tandis que la fouille est très sommaire. A côté, les stadiers du Slavoj Vysehrad semblent déborder de zèle. On se rend tout de suite compte que Brno est très loin du prestige de son histoire, le stade ne dégage rien et l’équipe est très mauvaise. Ralph Davies, le sympathique anglais habitant dans le coin, nous avait pourtant prévenu sur twitter que Zbrojovka était ennuyant à mourir. Les deux équipes qui dominaient le championnat dans les années 1990s livrent un match absolument catastrophique. Aucune projection vers l’avant et faible maîtrise technique sont les points communs de Zbrojovka et du Slavia. Seules les animations marrantes des écrans pour inciter les gens à applaudir nous sortent de notre torpeur, ainsi que les flashs livescore de Dunkerque-Strasbourg.

Brno réussit tout de même à marquer un but par Skoda à la 28ème. En deuxième mi-temps, nous nous prenons à rêver d’un but venu d’ailleurs qui influerait sur le spectacle mais il n’arrivera jamais. On rit tout de même grâce aux ultras du Slavia:

Ultras du Slavia : SLAVIAAAA

Ultras de Brno : ENCULES

Slavia : SLAVIAAAAAA

Brno : ENCULES

Slavia : ZBROJOVKAAAAA

Brno : ENC…euh…

Les deux équipes remercient longuement leurs fans, comme partout en République Tchèque, pendant que nous quittons le stade. Des flics tapis dans l’ombre à la sortie du stade manquent de nous faire peur. Dans le tramway, les fans de Zbrojoka chantent à tue-tête, surtout un gars massif, crâne rasé avec pas mal de tatouages. Nous comprenons les mots « Pivo » et »Boby » de ses paroles. L’ambiance reste festive, mais les heures de gloire sont bien loin.

Vous pouvez retrouver nos précédents épisodes des FootballskiTrip à Prague ICI

Damien Goulagovitch (merci Jakub!)

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.