Les White Angels ont décidé de prendre la même route qu’ont traversé plusieurs groupes de supporters en Europe. Pour en arriver à un club fondé sur les valeurs originelles de la communauté et l’endroit auxquels ils appartiennent. Le sport avant le marketing puissant et arrogant. Nous vous parlions des quatre clubs sans patron en Roumanie, avec un zoom sur le Voința Sibiu, qui ont opté pour ce modèle ainsi que le combat des fans du Celik Zenica en Bosnie. En Croatie, hormis le club de futsal lancé par les Bad Blue Boys, un seul club fonctionne sur le même principe depuis sa création en 2011 : le NK Varteks. Nous écrirons un article à ce sujet prochainement. En attendant, nous nous sommes intéressés au NK Zagreb 041, nouveau club fondé par des fans du NK Zagreb déçus de la gestion de leur club.

NK Zagreb, un des plus vieux clubs croates

Le club,  fondé en 1903 sous le nom PNIŠK, fut l’un des précurseurs en Croatie. A tel point que devant le manque de clubs contre qui jouer, le premier match officiel se disputa en 1904 entre les joueurs du club divisés en deux équipes. Le premier match international se joua un an plus tard, sur le terrain Magyar Athleticai Club contre le champion national, Ferencvaros. Le score de 11-1 en faveur des magyars témoigna de la différence de culture footballistique entre les deux endroits. Quand le football commença à devenir important en Croatie, d’autres clubs avec plus de succès éclipsèrent le NK Zagreb, notamment le rival local : le Dinamo.

Cela n’empêchera pas un certain succès. Un des matchs les plus mythiques de l’histoire de ce club, un barrage pour entrer dans la première ligue yougoslave en 1973, se joua à Maksimir au vu de la très forte demande de tickets. A l’aller, à Osijek, devant 25 000 personnes, le score resta nul et vierge. Le retour à Maksimir explosa complètement le record d’affluence du stade du Dinamo puisque 64 138 personnes prirent place dans les gradins, record qui ne sera jamais plus égalé. Le match, intense et dramatique, se termina sur un score de parité qui obligea les joueurs à effectuer une séance de tirs au buts remportée par Zagreb. Sportivement, la plus belle saison fut celle de 2002, puisque le NK Zagreb fut cette année là le seul club à briser l’hégémonie Hajduk/Dinamo depuis l’indépendance, bien aidé par les 21 buts d’un certain Ivica Olic.

La lutte pacifiste, puis la résurrection

L’histoire contemporaine débute, semblable à celle de beaucoup d’autres dans les Balkans et en Europe de l’Est. Depuis des années, les supporters du NK Zagreb étaient en guerre ouverte contre le président-entraîneur (!) Drazen Medic, surnommé le petit Zdravko Mamic, qui a le premier et le dernier mot dans toutes les affaires du club basé au stade Kranjcevic. A la manière de ce changement d’écusson en 2008 qui n’est pas passé chez les fans. Les méthodes pour lutter contre l’usurpateur sont toutefois différentes de celles des Bad Blue Boys du Dinamo voisin. Les White Angels, groupe de supporters du NK Zagreb, historiquement antifa, ne produisent aucun désordre et préfèrent éviter le harcèlement physique et moral. Ils sont en réalité un groupe unique de fans en Croatie qui tentent d’envoyer un message de tolérance, de paix et de respect de la diversité.

Ces supporters coopèrent même activement avec les demandeurs d’asile : « Nous jouons au football avec eux et nous les aidons à s’intégrer dans la société. Nous avons désormais une équipe de football commune. Peu de gens en Croatie leur donnent une chance alors que ce sont de bons gars qui en veulent et méritent cette opportunité. Le problème est que pour jouer, ils doivent obtenir un document d’un club précédent. La plupart des demandeurs d’asile, persécutés dans leur pays d’origine, ne peuvent pas fournir ce papier. Les White Angels tentent de résoudre ce problème avec les autorités compétentes. Les demandeurs d’asile devraient avoir les mêmes droits que les autres, dont celui de pouvoir pratiquer du sport« . Ces supporters prônent la lutte contre le racisme dans les stade, ne sont pas « prêts pour la patrie » et ne cherchent pas leurs modèles parmi les leaders nationalistes croates.

« Nous sommes fatigués de la mafia, de la HNS, de l’UEFA et de la privatisation. Le football est de retour à la maison, » Goran Grosman membre des White Angels

« Le club a perdu son identité, sa fierté, son honnêteté et son intégrité ainsi que son public et ses fans à cause des bandits impliqués au NK Zagreb, » communiqué des White Angels il y a deux ans.

Ce club est le nouvel espace d’expression d’un grand nombre de passionnés nostalgiques du vieil esprit du NK Zagreb. Le nom, 041, est un code de la ville de Zagreb, autrefois très présent partout en ville mais qui disparaît progressivement aujourd’hui. Ce code a été choisi pour symboliser un retour vers les racines de Zagreb. Les supporters et sympathisants sont clairement orientés contre le football moderne avec un modèle et une organisation se fondant sur la démocratie directe : « Aucun président ne sera plus important qu’un autre membre. » Pour l’instant, il n’y a même pas de président, ce qui a posé des problèmes dans le processus d’enregistrement du club, l’administration ne comprenant pas comment il ne pouvait pas y avoir un président avec un mandat classique de 4 ans, qui décide à propos de tout.

Les membres comptent se battre contre toutes les formes de clientélisme et de corruption à tous les niveaux, causes de la ruine du football croate. Il y a aussi dans le viseur la lutte contre toutes les formes de discrimination, avec l’affirmation que le football doit rester un vecteur de solidarité, de concurrence saine, de respect de l’adversaire et du sport aimé pour sa simplicité et sa beauté. L’une des figures de ce combat est Anto Jozelic Zelko, l’un des membres du duo de rap qui devient de plus en plus populaire à Zagreb : Fetbojs. Impliqué au club, le rappeur précise que « des documents juridiques sont signés par les représentants du club stipulant qu’ils ne pourront pas prendre des décisions importantes sans consulter les membres. » Pour ces idéalistes, les titres, la Ligue des Champions et ce genre de distinctions sont réservés aux riches et ne sont pas essentiels à la jouissance du sport.

« Nous pensons que le football va aller dans deux directions : les riches vont continuer sur la voie que leur dicte l’argent et les autres seront de retour à la source du sport, au vrai football. On le voit en Croatie avec le club fondé par Varazdin et en Europe un certain nombre de clubs appartiennent à leurs membres comme United of Manchester, Roter Stern Leipzig, Virtus Verona, FC Vova Vilnius, le FC Torpedo Budapest (clubs issus de la mouvance anti fasciste) …« 

Un coach qui vient d’être accepté comme demandeur d’asile

Celestine Olis a 33 ans, vient du Nigéria et vient d’être nommé coach du NK Zagreb 041. La Croatie lui a récemment accordé un droit à l’asile. Un cas rare. Seules 4 857 personnes se sont vues accorder un droit d’asile entre 2004 et mai 2015. Le processus est long et compliqué. Il a pris deux ans dans le cas de Celestine qui préfère ne pas se rappeler des difficultés parce que « en l’obtenant vous oubliez toutes les difficultés et le sentiment est fort. » Arrivé en 2012, il a été placé dans un centre, à l’hôtel Porin de Zagreb, pendant ces deux années qui n’ont pas été simples, comme il le confie à telegram.hr : « Ce fut une période pleine de frustrations. Même si vous n’avez pas de casier judiciaire, on vous voit comme un criminel. J’ai du lutter pour prouver que je suis un mec normal. Ces deux années ont été stressantes… Parfois, j’avais l’impression que je possédais toutes les maladies. Le gouvernement devrait peut-être faire quelque chose pour l’hôtel Porin » raconte Celestine, qui n’en veut pas à une Croatie en laquelle il est très reconnaissant : « Les Croates aiment les gens qui se battent pour quelque chose. Je me suis battu et j’ai travaillé dur pour devenir un membre de la communauté et les gens m’ont accepté quand ils ont vu que je voulais devenir l’un d’entre eux.« 

L’équipe dont il a la charge comporte en grande majorité des Croates, comme lui, mais aussi trois demandeurs d’asile. Ce beau monde commencera dans la troisième division de Zagreb, le septième échelon national. En plus d’être entraîneur de cette équipe de passionnés, Celestine gagne sa vie comme serveur et souhaiterait par la suite diriger une petite entreprise : « Je suis à la recherche de quelque chose que les gens aiment. Peut-être que la meilleure option serait un café. »  Pendant que Celestine poursuivra sa route sans vivre dans la crainte et la terreur, le NK Zagreb 041 compte gravir rapidement les premiers échelons pour arriver près du monde semi-professionnel. Après cela, l’équipe qui jouera ses matchs dans le stade du NK Zelengaj ne sait pas comment il fera pour réussir dans sa lutte contre le football moderne, mais cela promet d’être amusant.

NK Zagreb 041, Croatie
Celestine, coach heureux @telegram.hr

 Damien Goulagovitch

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  1. Pingback: Zagreb, capitale sans derby - Footballski - Le football de l'est

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